Quand Villefranche s’est trouvée « fermée à l’Orient ». Ce que la voie ferrée a fait à la ville…
Conférence de L’Académie de Villefranche et du Beaujolais à l’auditorium de Villefranche sur Saône samedi 11 mai 2024.
Paul Bacot présente un pan d’histoire de la ville : celle de la voie ferrée et des bienfaits apportés à la commune, malgré les tracés difficiles, et les difficultés dues à une époque où les risques dans les travaux, étaient aussi sources d’accidents voire de décès. Ce Caladois, professeur émérite en Sciences Politiques, ayant réalisé de nombreux travaux, s’est lancé dans l’aventure d’il y a 170 ans : l’ouverture de la gare de Villefranche.
Il aura fallu deux ans, dont un hiver 1853/1854 particulièrement rigoureux, pour que cet «embarcadère» ou «débarcadère», longe enfin la Saône, le long de Béligny, alors implanté dans un cadre de verdure. (Facebook de Marie-France Balandras)

En 1851, le réseau ferré est développé surtout dans la ½ nord de la France, en étoile.
Pour notre région, le train s’arrête alors à Châlon. Pour pallier au « chainon » manquant il faut emprunter le paquebot à vapeur jusqu’à Lyon : pas rapide ! et souvent des difficultés dues au brouillard, et même la glace sur la Saône…
En 1852, les travaux commencent. L’hiver 53-54, très froid, rend le travail difficile et dangereux, source d’accidents.
Il est décidé de construire la voie ferrée sur la rive droite de la Saône, jusqu’à Vaise.

Villefranche est une ville étirée, du sud au nord. Le tracé passe par Béligny, au raz de la ville : les expropriations, sont pour l’essentiel des champs et des pépinières.
Villefranche va s’étendre, se développer, particulièrement côté Saône, malgré la barrière formée par la voie ferrée, qui « coupe » littéralement la ville à l’Est. « Villefranche et son rideau de fer se ferme à l’Orient » (M Boiron, maire de Villefranche)
En 1851/52 Il existait 10/11 voies de circulation transversales qui vont être impactées : 5 seront carrément coupées, 4 entravées par des barrières, 1 (+1 chemin) restent libres.
Cela provoque dès le départ les difficultés de circulation, indépendamment du nombre de voitures qui se développe !
Comment ces intersections ont-elles été traitées, jusqu’en 1960, où la situation se stabilise ?
– Av Edouard Herriot (correspond au chemin de Grange Rouge) : ce sera le 1er passage à niveau, vraisemblablement avec un portail en bois. Ouvert et fermé par un garde-barrière logé sur place dans une maison avec jardin. L’homme est assermenté par le tribunal, pour verbaliser les personnes ne respectant pas la fermeture de la barrière. Puis ce travail se féminisera : Marie Durand sera la dernière garde-barrière. Ce passage à niveau s’arrêtera 30 ans avant les autres car avec l’extension de la gare et celle des marchandises, qui implique un besoin de rails important, cela fait trop de rails à traverser, créant difficultés et dangerosité. Le boulevard Antonin Lassal est très fréquenté… S’installe sur la N6, l’usine des chantiers du Beaujolais qui a ses propres rails. En 1932, un pont est créé puisqu’il y a la place pour faire une rampe d’accès. Plus tard il sera élargi pour l’accès à l’autoroute.

– La 2, concerne le chemin de la Sablonnière, entre Riottier/Albert Camus où la gare de marchandises est implantée : il sera transformé en impasse. Puis au début du 20ème s, il sera réouvert sur la rue Grange Blazet

– La 3ème est le chemin de Riottier, conduisant au gué puis au bac, c’est un axe très important, mais qui va être coupé pour la construction du débarcadère/embarcadère, qui deviendra la gare. Une réflexion concernant cette implantation a été faite : soit au Nord, ancienne halle Boiron, mais jugée trop excentrée. Impossible au centre en raison de la rivière Morgon. Ce sera donc au Sud : la rue Riottier devenant l’avenue de la gare de Villefranche (qui ne s’appelle pas encore « sur Saône »). La gare sera d’ailleurs décriée.
– La 4ème concerne la route de Frans qui relie à la Dombes. Le passage à niveau est trop souvent fermé ! En effet les trains sont lents car soit ils sont en démarrage ou vont s’arrêter, soit ils manoeuvrent ! Une passerelle pour piétons est demandée pendant des décennies pour permettre aux ouvriers-ères des usines caladoises qui traversent entre/sous/sur les wagons. Le projet établi, se pose le problème du financement réparti entre ville/département/Compagnie de Chemin de Fer. Puis les Ponts et Chaussées demandent un souterrain pour les piétons/cycles et charrettes à bras! En 1922, la troupe « de la Gaieté » chante « le passage à niveau » ! Le souterrain sera supprimé en 1960.

D’autre part les locomotives à vapeur doivent être alimentées en eau : grâce à des grues hydroliques situées au niveau de la gare des voyageurs. Les trains qui vont vers le sud ont leurs wagons immobilisés sur le passage à niveau ! Cela crée des embouteillages, de la colère, et des accidents puisque les gens décident de traverser quand même… déplacement des grues pour régler le problème, la création de réservoirs souterrains, remplacés par un château d’eau (détruit en 1990).

– Pont de la rue Pierre Berthier, qui est l’arrivée du Tacot, chemin de fer du Beaujolais. Au début des années 80 on double pour élargir le pont.
– Rue Ampère (sentier/rue des jardiniers) au bord du Morgon, sera construit le viaduc de la quarantaine, seul vrai grand axe est/ouest. Construit en un temps record de moins d’un an (septembre 1852-53), 9 arches, 150 mètres de longueur.
– Passage de la Providence, qui recueillait les garçons pauvres (maintenant Maison de l’Emploi et de formation) la rue est coupée.
– Impasse Gantillon, ancien chemin des araignées : axe majeur de Béligny, sera pourtant coupé ! Pendant 1 siècle, les plans font comme si ce n’était pas coupé et toujours existant…
– Rue Pasteur, pour aller à Beauregard, un passage à niveau est construit mais dans une courbe, et lieu fréquent de brouillard : 2 morts en 1959. Le passage est souvent fermé à cause des trains et la nuit entre 22h et 6h du matin. En 1950, on peut faire ouvrir par le garde-barrière en klaxonnant… les riverains se plaignent et les usines aussi car besoin d’ouverture permanente ! En 1960, un passage piéton souterrain sera créé.
– Rue du Garet : on est entre 2 passages à niveau proches, le chemin sera détourné.
– Nouvelle route de Beauregard, maintenant rue Louis Place : il y aura un passage à niveau et un garde-barrière : la maison porte le n° 295, puis fermé avec passage souterrain réalisé en 1960.
– La solution à tous ces embouteillages et difficultés de traverser la voie ferrée sera la construction de ponts enjambant les voies, dans les années 60. Trois passages à niveau seront supprimés en même temps. Pendant 1km, encore maintenant, on ne peut pas traverser les voies en plein centre -ville même à pied ! Villefranche conserve de nombreux culs-de-sac…