La viticulture des années 1950 à nos jours par Marcel Pariaud

Publié le 27 novembre 2025

Réunion du jeudi 6 février 2025 : thème la viticulture

 

Marcel nous raconte ses souvenirs (filmé par Jean-Louis) :

1 L’aspect du village : de la vigne et des animaux !

Dans les années 1950/65, il y avait alors 450 habitants environ à Lancié, qui faisait 600 hectares dont 280 ha en vignes. Cela correspond en gros à 64 exploitants, travaillant la vigne (récolte et privilège de 20l d’eau de vie à 50°), mais aussi une 20aine de salariés agricoles gagés ou à la journée : 80 familles vivaient de la viticulture, qui avait besoin de main d’œuvre car tout (ou presque) se faisait à la main !

Mais les aléas de la nature/ maladies/insectes imposaient un complément de revenus : il existait donc de nombreux animaux, qui servaient pour certains à l’agriculture ! Imaginez : 100 vaches, 35 à 40 chèvres, 38 chevaux + 4 mulets. Quelques-uns n’avaient pas de cheval. Certains travaillaient à façon et étaient soit rémunérés soit prêtaient des près. Il faut bien penser que toutes ces bêtes étaient déplacées : on emmenait les vaches, les chevaux, … il y avait un va et vient constant ! Les crottins et les bouses étaient ramassées par les jardiniers !

En complément on travaillait aussi des terres agricoles pour la nourriture de ce bétail, on avait également des lapins, des poules, un cochon, un jardin.

Les 17 ha des lots communaux des Bruyères de Lancié étaient divisés en une soixantaine de lots de 20 à 22 arrhes. Elles n’étaient pas encore plantées en vignes. Certaines en céréales, pommes de terre, trèfle, luzerne… Certains même n’étaient pas exploitants, ce qui correspond au but premier qui était de fournir des revenus aux indigents. Les lots étaient attribués pour 9 ans, par adjudication en mairie, « à la bougie ». La mise à prix était de 1 franc, soit 10 francs le lot. Au début le nombre de lots attribués par personne n’était pas limité, puis devant le succès (dû à la plantation de vignes) le maximum était de 5 lots.

 

2 Le travail manuel 

Il était très important ! Le sulfatage se faisait à dos, les foins à la faux, à bras… plus tard arrivera la faucheuse tractée par le cheval (avec entraide des voisins bien sûr !) et les moissons. Il y avait 3/4 emplacements pour la batteuse : la maison Dusauge à la Merlatière, Chez Gauthier au cimetière, Chez Bourras (grand-père de Pierrette) et à la ferme Bonjour. Puis c’était les vendanges ! La rentrée des classes en tenait compte… qui était parfois décalée début octobre. Il y avait beaucoup d’entraide entre les habitants ! Il venait des gens de l’extérieur aussi : les mineurs de Montceaux les mines,  les employés des laiteries de la Bresse (les gens du Beaujolais y allaient pour les moissons !), de St Etienne (de la manufacture), et aussi les gens de la montagne si les pommes de terre étaient arrachées …

   

Les exploitations faisaient de 3 à 4 hectares, parfois moins. 5 hectares représentaient une « grosse » exploitation ! Les agriculteurs étaient vraiment polyvalents : un peu d’élevage, un peu de culture, un peu de vigne, parfois du commerce, parfois de l’artisanat…

Concernant la vigne :

Le Gamay était majoritaire. La plus grande partie de la commune est en beaujolais village. Les terres du Châtelard, de par leur sol argilo-calcaire, étaient en beaujolais sauf les propriétés de Monsieur de Saint Laumer, propriétaire du château de Corcelles, qui étaient en « village ».

Ces terres sont actuellement implantées en chardonnay (blanc).

Le bas de Lancié (les Allumeaux, au pont rompu, près du chemin de fer) était également en beaujolais.

Le haut de Lancié (les Rochauds et les Buyats) est en limite de cru Fleurie, avec un terroir comparable. Ils n’ont cependant pas été classé en cru Fleurie.

Mais il y a quelques cépages hybrides (cépage oberlin, le ravat blanc ou ravat 6, le noah, …) : ils craignent moins la maladie et donc demandent moins de sulfatage. Ils étaient surtout plantés aux Bruyères où la terre et lourde et humide, et vers le bas de Lancié, où le gel est plus fréquent car les hybrides craignent moins les gelées et ils repoussent avec plus de raisins s’il gèle !

Pour la taille, les exploitants, en principe, attendaient la St Vincent (le 22 janvier). On faisait des « javelles » avec les sarments, qui étaient mis en petits tas. C’était le travail des enfants qui les regroupaient et les posaient en travers du rang de vigne. Ces sarments étaient attachés avec de grands osiers (les rignoutes). Rien ne se perdait :  on s’en servait lorsqu’on tuait le cochon, pour la chaudière, ou pour le feu, la lessive, …

On butait les vignes pour recouvrir les feuilles et l’herbe… Après il fallait déterrer = dégraver avec une piochette, on dégageait le pied de vigne. On dé-buttait : on passait deux fois dans le même rang avec le cheval. On enlevait le mouron (mauvaise herbe) qui se développe bien dans le fumier, qui garde l’humidité et facilite donc les gelées ! Mais ça fait aussi de l’engrais ! Les premiers désherbants, plus tard, ont facilité le travail et ainsi évité le gel !

Puis en avril/mai c’était le piochage… la « paulette » : on faisait un petit dôme entre les rangs, qu’on rabattait quand on sulfatait ou quand on travaillait avec le cheval. En tout il y avait 6 à 7 passages, suivant les années, avec le cheval dans les vignes, pour le travail de la terre ! Après le 14 juillet, on ne faisait plus avec le cheval, car avec la chaleur et les poussières, on risquait de brûler les raisins !

Le sulfatage était fait avec des journaliers agricoles, en plus du vigneron.  Ils avaient souvent 2 à 3 patrons, pour lesquels ils travaillaient sur des jours différents. Le travail de la terre au printemps se traduisait en journée de 10 à 12 heures, du lever du jour à la nuit.

Labourer avec la charrue et le cheval, griffer le sol, piocher les herbes, … on pouvait parcourir 10 à 20 kms par jour !

L’enjambeuse à traction animale en plaine et à mi-côteau est apparue dans les années 51/55. Elle permettait de traiter plusieurs rangs à la fois. Le compresseur (tuyau avec pression) est également apparu. Les tracteurs, eux sont arrivés dans les années 60.

Il y avait des serves ou des bottasses qui se remplissaient avec des « traversiers » qui récupéraient l’eau de pluie : des tonneaux en bois ou en ciment, ou des captages de source. Pour faire la bouillie bordelaise, ou on utilisait des pièces d’eau = 200 l d’eau transportée par le cheval. On utilisait 1000 litres à l’hectare… ! Avec l’atomiseur à dos, ce n’était plus que 200 litres d’eau à l’hectare ! On réalise à quel point c’était révolutionnaire !

Les années pluvieuses, les foins étaient prioritaires … pas le temps de sulfater ! La récolte future pouvait s’en ressentir.

Il fallait aussi attacher la vigne. On appelait cela le liage : on utilisait un ou deux liens par pied. On fonctionne encore comme ça vers Côte Rôtie. Il y avait un tuteur (échalas) sur les vignes, jusqu’aux 10 ans de la vigne. Les tuteurs étaient fabriqués l’hiver avec du bois de châtaignier le plus souvent. Il fallait éplucher les rondins, puis les fendre. Vers 1960 est apparu le palissage. Il s’agissait de relever les sarments et tendre des fils de fer sur lesquels les attacher.

Il y avait aussi le pâturage ; on emmenait les vaches ou les chèvres aux champs… c’était le travail des femmes et des enfants. Il y avait de l’aide entre familles pour la garde des enfants en bas âge ! Vache et veau étaient un complément précieux… pour la viande mais aussi pour le lait, avec des passages du laitier pour le ramassage du lait sur 2 ou 3 points de collecte à Lancié.

 

3 La commercialisation des récoltes/ La distillerie

La récolte se commercialisait par des négociants. Il y avait de grands domaines en Bourgogne, et des courtiers en vins qui venaient acheter le vin à l’occasion d’événements importants : par exemple la fête Raclet à Romanèche, ou le marché aux vins de Fleurie, ou ils passaient directement dans les caves. Les exploitants présentaient un échantillon de leur vin pour le promouvoir. Il y avait un syndicat viticole à Lancié. Les vignerons ne voulaient jamais vendre la récolte en totalité, pour en conserver en cas de gel pendant l’hiver ou le printemps suivant !

 

Le raisin écrasé (le gène) donne le marc qui était stocké. Le vin vendu, on s’occupait du marc, avec le bouilleur de cru. A Lancié, la distillerie, près de la place des Pasquiers était une coopérative de distillerie, créée le 7 septembre 1929.

                               

Elle fonctionnait de décembre à mars. De nombreux jeunes du village se sont succédé pour en assurer le fonctionnement. Chaque viticulteur avait droit à 1000° d’alcool pur soit : 20 litres à 50°. L’argent était redonné aux vignerons… ça payait bien ! Une cuite représentait le remplissage de la cuve, le prix était fixe. On faisait aussi les cristaux. Après la cuite on ajoutait de l’eau dans la chaudière qui était chauffée et refroidie puis versée dans de grands récipients en cône, les cristaux de tartre se déposaient : on tapait contre pour les décoller. L’acide tartrique était utilisé en tannerie, mais aussi dans l’alimentation. L’argent de la vente des cristaux payait le charbon pour toute la distillerie. Il y a eu des taxes sur la prestation d’alcool vinique qui ont fait abandonner la distillerie locale.

Il y avait 3 coopératives à Fleurie. Quelques-unes individuelles ont périclité . Il existait aussi des distilleries ambulantes.

 

4 Des années plus ou moins difficiles

Il était important de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier !

Les crus craignent moins la gelée de printemps. La gelée blanche (autour de -2°C) est très sensible ici ! La gelée noire (-5°C) est surtout sur les emplacements d’altitude avec l’effet du vent.

Dans les années 65 à 80, le marché primeur avec le Beaujolais nouveau a développé favorablement la commercialisation du beaujolais.

                  

La pièce de vin (tonneau de 215l environ) avait cours dans les années 70/80, vendue auprès des négociants. On faisait 20% en direct… La coopérative ne faisait pas beaucoup de bouteilles. Besson, Dussauge et Miolane ont commencé vers les années 60. Les restaurants / bars venaient directement chercher en pièces !

Si dans les années 65 à 85 la vente de vin en vrac était profitable économiquement, les cours ont ensuite chuté. Cela a amené de nombreux vignerons à essayer de développer la vente à la bouteille. Du coup une nouvelle filière va apparaître : l’embouteillage.

Il fallait se faire connaître : Marcel a adopté la « technique » de faire la fête !… Dans les années 75/80, on privilégiait la convivialité, les vendangeurs repartaient avec des bouteilles, et la dégustation se faisait au caveau. Tout le monde ne peut pas être bon vigneron et bon vendeur. Les vendanges représentent le point final du travail et c’est un temps festif !

 

5 Et maintenant…

Dans les années 85, il existe 330 hectares plantés en vignes et moins d’exploitations : une trentaine. Jusqu’en 2000, ce fut la prospérité puis est venue la concurrence des vins du Sud car la qualité a augmenté. Vers les années 75, les touristes se déplacent de plus en plus. On profite du passage en direction des vacances vers le Sud, … pour le beaujolais primeur, des caveaux voient le jour dans les communes, la vente au détail se développe, …

Le Gamay est un cépage fructifère (productif) mais il a besoin d’un ensoleillement important. Pour obtenir une belle fermentation (transformation du sucre en alcool), il faut une maîtrise de la température de la vendange (refroidissement ou chauffe selon les circonstances).

La technologie a amené, dans ce sens, de nouveaux outils performants (refroidisseur)… Suivant l’état sanitaire du raisin, l’égrappage sera autorisé dans les années 85.

Aujourd’hui, c’est la reprise d’n bon chemin où la qualité prime. L’ensemble du Beaujolais a représenté 15 000 hectares puis 23 000 ha, actuellement on est à 13 000 ha. C’est la taille en gobelet ou taille haute qui est la plus utilisée. Il y a actuellement une grande diversité dans la manière de mener la vigne.

 

En complément, des informations du village voisin:

https://www.romaneche-thorins.com/vignoble.php